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Rencontres cliniques freudiennes

Nous proposons un dispositif clinique issu de la subversion que Lacan a su introduire à l’hôpital Sainte-Anne autours des années 70 dans ses « présentations de malades » issues de la psychiatrie classique. Il est important d’insister sur ce terme de « subversion » pour prévenir les réserves, les critiques voire les accusations d’archaïsme qui se sont développées parfois non sans fondement dans les milieux psychiatriques à propos de cette pratique ancienne de la présentation de malades. Loin d’être une monstration, il s’agit ici d’un entretien conduit par un psychanalyste assisté de deux à trois collègues rompus à cette pratique. Cet entretien est proposé par le chef de service à un patient dans un moment qui parait pertinent à l’équipe pour l’aider dans sa prise en charge. Cet entretien se déroule en présence des membres de l’équipe soignante qui souhaitent y participer et d’un certain nombre de professionnels et étudiants souhaitant interroger leurs pratiques cliniques par ce qui s’est déposé au fil des ans de l’expérience de la psychanalyse. Ce dispositif qui a fait ses preuves dans l’expérience depuis plusieurs décennies, se révèle avoir deux ordres d’effets :

Il offre au patient la possibilité souvent inédite d’une rencontre avec le discours analytique qui est différent du discours médical auquel il est habitué. Le psychanalyste qui mène l’entretien vise à lui permettre un dire nouveau sur ce qui lui arrive et une possibilité de tenter de construire l’histoire de ses démêlés subjectifs dans sa rencontre avec lui. Ce dispositif espère favoriser les émergences du sujet et éviter son objectivation. L’expérience a montré souvent les bénéfices que le patient peut tirer de cette entrevue pourtant unique. Ces bénéfices ont régulièrement été constatés dans l’après coup par le médecin et l’équipe qui ont la charge du patient et qui lui permettent de reprendre avec eux les effets de cet entretien inhabituel. On a pu constater à plusieurs reprises la demande ultérieure et spontanée du patient de revenir se soumettre à l’expérience pour reprendre le fil là où il l’avait laissé en suspend. Il est bien entendu que le patient doit être partie prenante, accepter ce dispositif qui lui a été présenté au préalable par le médecin qui s’occupe de lui et qu’il a la liberté de le refuser à tous moments, que ce soit juste avant l’entretien ou même durant l’entretien lui-même si cela provoque chez lui trop d’angoisse.

Il permet des effets d’enseignement que seule une clinique sur le vif peut apporter. Il est crucial que l’assistance soit composée de personnes choisies qui se sentent partie prenante, dans une présence active, attentive et soutenante et non dans une position passive de spectateur, encore moins de voyeur. A l’issu de l’entretien et hors la présence du patient, s’instaure une réflexion collective sur l’entretien qui vient de se dérouler pour permettre une élaboration autour des difficultés subjectives du patient, la construction de son cas singulier et l’orientation qui peut être donnée à sa prise en charge ultérieure. Là encore, l’expérience a démontré que ce dispositif pouvait changer l’angle de perspective du regard qu’une équipe pose sur le patient et favoriser des idées nouvelles pour sa prise en charge. Assez souvent, on a vu l’équipe apprendre de la bouche du patient des éléments de son vécu subjectif ou de son histoire qu’il n’avait jamais livrés à personne et qui éclairent ses difficultés d’un jour nouveau.

Nous avons donc pu constater que l’intérêt didactique de ce dispositif n’empêche d’aucune façon l’intérêt thérapeutique qu’il peut avoir pour le patient et l’aide qu’il peut apporter à l’équipe qui a charge de lui.

Fabienne Guillen

Petit historique sur la présentation de malades

 La présentation de malades n’est pas née de l’enseignement de Lacan, mais appartenait au dispositif de formation des jeunes médecins psychiatres. En 1814, Philippe Pinel introduisit cette démarche à la Salpêtrière sous le nom de « méthode d’observation d’un aliéné » dans les cours de clinique psychiatrique. La méthode fut perpétuée par ses élèves et s’étendit à l’étranger, voire à d’autres disciplines. Une évolution s’est produite au cours de l’histoire, permettant de passer de ce qui fut nommé les « Leçons cliniques » aux « Présentations de malades » dans les services de psychiatrie.

Jean-Martin Charcot, neurologue, présentait des cas de sa clinique à ses élèves. A l’époque, la clinique du regard était prévalante, ce qui put conduire à des accusations de monstration. Le célèbre tableau d’André Brouillet dressant Charcot à l’œuvre, n’établissant aucun dialogue avec le patient devant un public stupéfié, est présent à tous les esprits.

La leçon clinique à la Salpêtrière représente le neurologue Jean-Martin Charcot lors d’une de ses « leçons du mardi », examinant une patiente hystérique, Blanche Wittmann. Il est entouré d’un grand nombre de ses élèves et collaborateurs, dont Théodule Ribot, Paul Richer et Gilles de La Tourette. On y voit aussi Joseph Babinski, lequel recueille avec une sorte de dévotion le corps pâmé de la patiente.

On peut noter, malgré tout, que l’un de ses élèves, Freud, a transformé radicalement l’approche de l’hystérie. Ne restant pas empêtré dans la fascination de ce que les malades donnaient à voir, il a proposé une écoute à celles-ci. C’est ainsi qu’avec un travail sans cesse renouvelé, il a subverti la clinique. Il est allé à l’encontre de l’approche de ses contemporains et a introduit la question du sexuel dans les névroses. Les représentations sexuelles inconciliables ont ainsi formé l’Inconscient freudien. On peut souligner au passage qu’il rédigea une rubrique nécrologique rejetant les accusations de théâtralisme envers les « Leçons cliniques » de Charcot. La psychanalyse généra une rupture, permettant une translation d’une clinique du regard à une clinique de l’écoute.

Dans le milieu psychiatrique, jusqu’à fort récemment, la valeur de transmission des présentations de malades était le principal argument pour perpétuer cette pratique. La sémiologie psychiatrique et la façon de s’entretenir avec le malade étaient présentées aux jeunes psychiatres. De nos jours, cette pratique a été progressivement délaissée et a disparu de la formation psychiatrique.

En 1922, Henri Claude, proche du mouvement psychanalytique, fut probablement le premier à introduire des psychanalystes à Sainte-Anne – comme René Laforgue, chargé d’une consultation de psychanalyse – et à prendre des assistants tel Jacques Lacan. Dès 1955, Lacan présenta des malades, d’abord dans le service non sectorisé de Jean Delay, puis à Henri Rousselle jusqu’en 1980, service sectorisé de Georges Daumézon, dans l’aile dirigée par Marcel Czermak.

Dans ce cadre bien précis, Lacan s’est essayé à la « Présentation de malades », tout en cherchant à se décaler de sa forme classique : il s’agissait ici d’un entretien conduit par un psychanalyste qui permettait une rencontre avec le discours analytique. Ne se laissant pas empêtré dans ce qui aurait pu être le discours du maître, ne cherchant pas à convaincre ses élèves des éléments qu’il enseignait, Lacan semblait toujours privilégier la singularité du cas en évitant un diagnostic plaqué tout en forgeant avec un brin d’humour, un terme qui pourrait en rendre compte. Il laissa plutôt la place à un positionnement éthique, une façon d’accueillir la parole de l’autre, qui, à vif, venait chercher le réel qui lui échappait. Ce n’était pas, pour Lacan, le lieu d’enseigner la théorie à ses élèves ; il suffit de voir la façon toujours lapidaire dont se terminaient les discussions lorsque le patient était sorti de la salle. Il semblait plus préoccupé de répondre aux inquiétudes de l’équipe et des éventuelles conséquences de la position du sujet par rapport au réel, que d’illustrer les apports théoriques de ses séminaires.

Ses élèves, en perpétuant cette pratique alors qu’elle avait disparue de la psychiatrie considèrent souvent que cette entrevue unique avec un psychanalyste permet au sujet qui s’y prête de rencontrer la psychanalyse et éventuellement de s’en saisir. Ils estiment aussi que c’est l’occasion pour l’équipe qui prend en charge le malade d’entendre certains éléments nouveaux qu’un entretien psychiatrique n’aurait pas permis de faire émerger. Enfin, ils espèrent, pour les sujets qui s’en saisissent, des effets alors qu’il ne s’agit que d’un entretien unique, bien loin des séances régulières d’une psychanalyse. Ils considèrent donc, implicitement ou explicitement, que Lacan a permis une subversion de la présentation de malades qui était pratiquée en psychiatrie.

Cependant, les détracteurs de ces présentations de malades ne manquent pas. Accusant cette pratique d’archaïsme, ils y voient perdurer une pratique obsolète, voire dégradante pour le patient qui se confronte à un auditoire passif en attente de la parole du maître. Plus, un certain nombre de psychanalystes lacaniens restent farouchement hostiles à ce dispositif et ne voient pas d’intérêt à le perpétuer.

Dans ce débat passionné, il est difficile de faire la part des choses, surtout pour ceux qui n’ont jamais assisté à ces présentations. Le travail que nous vous proposons va consister, via « les rencontres cliniques freudiennes », à tenter de répondre à cette question : peut-on considérer que la psychanalyse a permis à Jacques Lacan de subvertir la présentation de malades sur un plan clinique et éthique ?

Nous allons donc chercher à mieux cerner les effets d’une « Rencontre clinique freudienne » (nom que nous préférons donner à ce dispositif), où l’on demande au sujet, par son témoignage, d’exposer le plus intime de son vécu devant un auditoire. Peut-t-on parler de subversion clinique grâce à la translation d’une clinique du regard à une clinique de l’écoute ? Le désir de l’analyste permet-il à certains sujets qui s’emparent du dispositif de mettre en place l’ébauche d’un transfert ? Observe-t-on un matériel nouveau du fait d’un positionnement éthique différent de l’analyste qui réalise l’entretien avec un rapport différent au réel ? Pouvons-nous nous avancer en disant qu’il y a des effets d’émergence du sujet qui nous en apprennent un peu plus sur sa singularité ? Comment l’analyste qui mène l’entretien peut-il se positionner face au retour dans le réel du non-symbolisé ? Quelles sont les conditions et les conséquences d’un colloque singulier devant un auditoire ?

Autant de questions auxquelles va nous confronter la mise en place de cette expérience au sein de votre service.

Abel Guillen